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Voie de résilience n°8 : Développer des outils locaux de stockage et de transformation

La grande majorité des produits alimentaires ont fait l’objet d’une ou plusieurs transformations : meunerie pour la farine, pression pour l’huile, fermentation pour les produits laitiers, abattage et découpe pour la viande... L’industrie agroalimentaire s’est concentrée et l’essentiel de la production repose désormais sur de grosses unités, distantes des fermes et des consommateurs. Limiter la dépendance du système alimentaire aux transports et aux énergies fossiles passe donc par la relocalisation d’unités de transformation.

État des lieux



Des filières de transformation hyper-concentrées



Les produits transformés : une place prépondérante dans notre alimentation

Dans les régions du monde à saisonnalité marquée, comme l'Europe, les principales productions agricoles sont irrégulières au cours de l’année. La plupart des denrées agricoles brutes se conservant très mal dans le temps, il est indispensable de disposer de moyens de stockage et de conservation pour assurer un régime varié tout au long de l’année. La première fonction de la transformation est donc de protéger les produits alimentaires des bactéries, champignons, insectes et autres animaux. Elle permet aussi de préserver voire d'améliorer les qualités nutritionnelles de certains aliments (notamment grâce aux fermentations) et d’obtenir des produits concentrés d’usage facilité (huiles, sucre).

Les procédés de transformation peuvent être répartis en trois catégories :
- La première transformation consiste à stabiliser les aliments après récolte. Il s’agit par exemple du séchage, de la mouture des céréales, ou de l’extraction de l’huile des graines.
- La transformation secondaire s’applique aux produits frais et aux produits de première transformation, et permet d’obtenir une plus grande diversité d’aliments. La fabrication de pain, de laitages, de viande, de boissons fermentées, de conserves ou de produits surgelés en sont des exemples.
- Enfin, les produits « ultra-transformés » sont issus de nombreuses étapes et techniques de transformation industrielles, en vue d’obtenir des repas « prêts à consommer ».

Environ 80 % des dépenses alimentaires des ménages concernent des aliments transformés. Une très large majorité de nos apports caloriques repose sur des produits ayant subi au moins une ou deux transformations : farine, semoule, pain, pâtes, huiles, sucre, produits laitiers, viandes, conserves. Seuls les fruits et légumes frais, les fruits à coque, les oeufs, le miel, et certains féculents (pommes de terre et grains entiers) peuvent être consommés tels quels. Ils sont cependant eux aussi la plupart du temps transformés (surgélation, déshydratation, décorticage...), notamment pour servir d’ingrédients à d’autres préparations alimentaires.

Le secteur de la transformation génère en France 600 000 emplois, dont environ trois quarts dans l'industrie agroalimentaire et un quart dans l’artisanat commercial de charcuterie et de boulangerie-pâtisserie. Cela représente environ trois emplois dans la transformation pour quatre travailleurs agricoles !

L'hyper-concentration récente

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les activités de transformation se sont concentrées à la fois économiquement et géographiquement. Suivant la tendance observée dans les autres industries, cette concentration s’explique notamment par le développement massif du transport routier et maritime, permis par l’abondance et le faible coût du pétrole. Dans ce contexte particulier, les économies d’échelle ont permis à quelques grands groupes de s’imposer face à une multitude d’acteurs locaux ou régionaux. Il demeure en France de nombreuses petites entreprises de transformation alimentaire, dont les circuits d’approvisionnement et de distribution sont avant tout locaux, mais en termes de volumes transformés, les grands groupes industriels dominent très largement le marché : seules 2 % des entreprises représentent 76 % des effectifs salariés et concentrent 85 % du chiffre d’affaires du secteur. Elles reposent sur des unités de transformation de très grande capacité, qui s’approvisionnent sur de longues distances, et livrent en retour leurs produits sur tout le territoire. Les produits alimentaires de consommation courante présentés ci-dessous illustrent bien ce phénomène de concentration.

Farine et pain

En un siècle, le nombre de moulins a été divisé par 100, passant de 40 000 au début du XXe siècle à 6 000 en 1950, et à 394 en 2018. Si la première phase de ce déclin s’explique par des avancées techniques (passage des meules de pierre aux minoterie à cylindre), la seconde résulte du développement de très grandes meuneries industrielles, alimentées par un vaste réseau de transports. Aujourd’hui, seuls 34 moulins produisent la moitié du volume total de farine en France, et 95 % des volumes de céréales traités le sont dans des moulins dont le rayon d’activité dépasse l’échelle départementale.

Moulin de la compagnie GMS Meunerie, à Strasbourg (Bas-Rhin). Crédits : © Nis&For.

La filière s’est aussi fortement concentrée économiquement : quatre groupes (NutriXo, Moulins Soufflet, Ariane Meunerie et Grands Moulins de Strasbourg) produisent à eux seuls 51 % de la farine fabriquée en France. Ils intègrent désormais de nombreux maillons de la filière : vente de semences et de produits phytosanitaires, moisson, panification, et parfois la distribution de détail.

Produits laitiers

En France, plus d'une unité de transformation laitière sur deux a fermé ses portes en 20 ans, entre 1986 et 2006. La Bretagne et les Pays de la Loire concentrent un tiers des livraisons de lait. La concentration industrielle et économique est elle aussi élevée (Figure 26). La majorité de la production repose sur une dizaine de sites, contrôlés par un petit nombre de groupes industriels disposant d’un pouvoir économique considérable : Lactalis, Danone, Sodiaal…

Figure 26 : Concentration industrielle et économique au sein de la filière des produits laitiers en France. Les valeurs représentent, pour cinq catégories de produits laitiers, la part de la production nationale assurée par les dix premiers sites (colonne de gauche) ou par les dix premiers groupes d’entreprises (colonne de droite).Source : Les Greniers d’Abondance, d’après FranceAgriMer (2016).

Viande

En 2008, la moitié de la viande produite en France était issue d’une vingtaine d'abattoirs industriels. Géographiquement, la filière est fortement concentrée dans le Grand Ouest (Figure 27). Les abattoirs publics de proximité, communaux ou intercommunaux, sont passés de 600 en 1980 à 100 en 2010 et leur part des volumes nationaux produits de 63 % à 8 % sur la même période. Les unités du seul groupe Bigard abattent chaque année 43 % des volumes de viande.

Figure 27 : Carte des abattoirs et volumes abattus. Source : Bonnet et Guittard (2017).

Consommation énergétique

Les industries agroalimentaires ont par ailleurs des besoins importants en énergie (voir épuisement des ressources énergétiques et minières). Du même ordre de grandeur que l’énergie directement consommée sur les exploitations agricoles, ceux-ci reposent pour 60 % sur l'énergie fossile (principalement du gaz naturel).

Quels liens avec la résilience ?



Menaces associées : épuisement des ressources énergétiques et minières, instabilité économique et politique

Les produits non transformés constituant une faible part de notre alimentation et se conservant pour l’essentiel très mal, la sécurité alimentaire d’un territoire repose sur le bon fonctionnement de ses filières de transformation. En cas d’insuffisance ou de défaillance des industries de transformation, les produits concernés seraient confrontés tantôt à des pics de surproduction pendant lesquels le gaspillage serait très important, tantôt à des périodes de pénurie.

La complexification des chaînes de transformation contribuent à l‘allongement et à la multiplication des étapes de transport. La raréfaction des énergies fossiles remet en cause ce paradigme, et fait peser une menace sur ce type d’organisation très centralisée. Les unités de très grande dimension, qui drainent la production agricole sur un vaste territoire avant d’écouler les produits transformés à l’échelle nationale voire internationale, dépendent d’un réseau de transport fonctionnel, d’infrastructures à très bas coût d’usage, et d’une énergie très bon marché. Une perturbation localisée touchant un seul site d’envergure peut avoir des conséquences disproportionnées sur l’ensemble du système alimentaire. La dépendance des entreprises de transformation elles-mêmes aux énergies fossiles est également un facteur de vulnérabilité.

Objectifs



Parer à l’éventualité de contraintes sur les chaînes de transport demande de diversifier les échelles des filières de transformation. Il s’agit de développer des unités complémentaires locales pouvant assurer les besoins de base de la population, en privilégiant des outils facilement réparables, peu dispendieux en énergie et/ou basés sur des énergies renouvelables (voir voie de résilience n°3).

Il semble en particulier pertinent de développer :
- à l’échelle des fermes, des ateliers de première transformation (séchoirs, conserveries, fromageries, moulins et fours à pain) ;
- à l’échelle d’une commune ou d’une intercommunalité, des outils de plus grande capacité, demandant plus d’investissements et permettant des économies d’échelle (moulins, pressoirs à huile, conserveries, abattoirs fixes ou mobiles) ;
- des capacités de stockage associées à ces unités, permettant de ne pas fonctionner en flux tendus.

Il est intéressant de mutualiser ces équipements entre producteurs, professionnels de la transformation, collectivités et particuliers afin d’assurer leur amortissement et les frais de fonctionnement. Ces unités de transformation apporteront des débouchés directs aux producteurs locaux, en leur offrant la possibilité de diversifier leur production avec peu d’investissements. Elles peuvent être mises à la disposition de professionnels ou prendre la forme d’ateliers de transformation collectifs. Ces derniers sont généralement animés par un porteur de projet, ou un salarié qui accompagne l’utilisateur ou réalise seul la tâche de transformation.

Leviers d’action



LEVIER 1 : Réaliser un état des lieux des unités de transformation existantes Ce diagnostic doit permettre d’identifier les filières qui ont besoin d’être soutenues ou développées sur le territoire, en consignant :
- la nature des unités de transformation existantes ;
- leur capacité et leur échelle de rayonnement ;
- le niveau d’adéquation avec la production agricole et les besoins locaux.

Carte de France des unités de transformation et de stockage des céréales, développée par Passion Céréales. LEVIER 2 : Favoriser le développement des outils de transformation et de stockage

Les collectivités peuvent mobiliser leur compétence en développement économique pour :
- Accompagner les porteurs de projet en favorisant leur intégration dans les réseaux d’acteurs locaux ; en les aidant dans la recherche de financements publics ou privés (voir Constuire et financer un projet de résilience alimentaire), et en facilitant directement leur installation (mise à disposition de foncier ou d'immobilier, zones d'activité dédiées) ;
- Participer à la création et au bon fonctionnement de sociétés coopératives ;
- Conditionner les aides aux entreprises au renforcement de la résilience alimentaire du territoire.
- Pour ce type de projets, les différents organismes locaux de développement rural sont un appui précieux (DRAAF, Chambre d’agriculture, Groupements d’Agriculteurs Biologiques, pôle InPACT). Ils peuvent faciliter le lien avec les producteurs, l’évaluation des besoins et des possibilités d’approvisionnement, l’identification des obstacles, etc. La qualité des liens entre les services d'une collectivités et avec les territoires voisins est ici un facteur de réussite important.

La communauté de communes du Magnoac (Hautes-Pyrénées) a financé la construction d’un atelier de fabrication de pâtes qui reçoit la farine de blés durs issus de semences paysannes locales. Cet atelier a pris la forme d’une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), l’Odyssée d’Engrain, dont la communauté de communes est sociétaire. Crédits : © l’Odyssée d’Engrain.

Créée en 2010 à Balazuc (Ardèche), Le Bateleur est une association qui propose de valoriser les productions locales avec des conserves de fruits ou légumes, charcuteries ou plats cuisinés. Pour cela, elle propose un atelier de transformation au service de différents usagers, comme les citoyens lors de journées de transformation collective ouvertes à tous.Crédits : © Association Le Bateleur.

Le Silo Bio Ouest (Charente-Maritime) est un outil structurant les filières des grandes cultures en agriculture biologique de la région. Il permet le stockage des grains et des projets de transformation sur place sont en développement. Les collectivités ont participé au montage et au financement de ce projet. Le Silo Bio Ouest est situé sur le pôle d’activités Val Bio Ouest à Saint-Jean d’Angély (Charente-Maritime). Ce pôle est dédié aux entreprises de première et de deuxième transformation et aux services de la production en lien avec l’alimentation biologique. Crédits : © ValBioOuest - CDC des Vals de Saintonge

LEVIER 3 : Utiliser la commande publique en restauration collective

La commande publique de la restauration collective, lorsqu’elle cible en priorité le local, peut directement soutenir économiquement les unités de production locales en leur fournissant des débouchés directs (voir voie de résilience n°10).

LEVIER 4 : Relocaliser toute une filière

Les collectivités peuvent structurer une filière territoriale depuis la production agricole jusqu'à la transformation et la commercialisation. Il s’agit d’un levier majeur pour renforcer la résilience alimentaire locale. Plusieurs territoires se sont ainsi lancés dans le développement de filières blé-farine-pain, comme le Parc Naturel Régional du Perche (Eure-et-Loir) qui a impulsé la création d’une marque de pain local, ou le cluster agroalimentaire Uztartu qui a permis de relancer la culture du blé au Pays Basque et de développer une filière blé/farine/pain entièrement locale.

Dans le Pays Basque, l’Association Herriko Ogia fédère 25 exploitations agricoles, deux minoteries et 60 boulangeries pour proposer un pain entièrement local. Cette organisation permet d'agir sur de très nombreuses dimensions du système : réduction de l'assolement en maïs, et donc de la dépendance à l'irrigation, encadrement des pratiques agricoles des fournisseurs par un cahier des charges, développement de semences adaptées au terroir, maintien économique des minoteries, moindre dépendance aux transports, etc.Crédits : © Uztartu.


Bénéfices associés



Le développement d’unités de transformation locales permet la création d’emplois non délocalisables sur le territoire. La structuration de filières de qualité assure une diversification et une valorisation des revenus ainsi que le maintien de savoir-faire spécifiques liés aux productions de terroir. La mutualisation et la mise à disposition des outils aux agriculteurs qui le souhaitent permet une meilleure répartition de la valeur créée tout en réalisant des économies d’échelle. Cela permet en outre le développement et le renforcement des réseaux d’entraide.

Obstacles



Concurrence inégale

La concentration économique de l'industrie agroalimentaire permet aux grands groupes d'investir massivement dans le marketing et la communication, et ainsi d'asseoir leur position dominante. Selon les produits, la publicité représente entre 5 et 15 % du prix de vente final. Là encore, les effets d'échelle jouent et avantagent les grandes firmes.

Modèle économique

Une unité de transformation est un investissement important dont l’amortissement peut être difficile. De manière générale, les modèles plus résilients ne sont souvent pas les plus rentables tant que le contexte reste suffisamment favorable au modèle industrialisé. Des structures coopératives soutenues par les politiques publiques locales et les consommateurs peuvent néanmoins constituer des solutions économiquement viables.

Intérêts divergents

L’industrie agroalimentaire a un pouvoir économique et politique extrêmement fort. Des oppositions multiples peuvent venir freiner le développement de projets de territoire allant contre leurs intérêts. Les collectivités peuvent jouer sur la complémentarité des échelles et la meilleure rémunération des agriculteurs du territoire pour renforcer la légitimité politique de ces projets.

Faible soutien des outils de transformation locaux

Les unités de transformation territoriales pâtissent d’un manque de soutien de la part des pouvoirs publics : moins de 3 % des fonds de la politique de développement rural ont été alloués à cette industrie de 2014 à 2020. Ces outils sont particulièrement peu développés pour la production issue de l'agriculture biologique.

Indicateurs


- Nombre d’unité de transformation sur le territoire
- Volumes transformés par type de produit
- Capacités de stockage pour des produits alimentaires de base

Pour aller plus loin






Centre Ressource du Développement Durable et Fédération Régionale des CUMA Nord-Pas de Calais (2013) Les outils de transformation collectifs, un potentiel à développer. De nombreuses autres ressources sont disponibles sur le site Ateliers de Transformation Collectifs.
Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (2014) Projets d’ateliers de transformation. Une fiche pratique spécialement destinée aux collectivités avec méthodologie et retours d’expérience. Disponible sur la plate-forme DevLocalBio un ensemble de ressources très riche pouvant être consulté pour mener un projet de résilience alimentaire territoriale

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