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Voie de résilience n°2 - Préserver les terres agricoles

Habitats, routes et zones d’activités (commerciales, industrielles ou artisanales) : les constructions humaines s’étendent à un rythme soutenu, détruisant de façon souvent irréversible des terres agricoles fertiles situées à proximité de nos lieux de vie. Pour préserver ces terres, et faciliter la relocalisation de la production, les collectivités doivent se fixer un objectif de « zéro artificialisation nette ».

État des lieux



Les terres agricoles : un bien commun menacé



En France, la surface agricole décline depuis plusieurs décennies. Elle représente aujourd’hui environ la moitié du territoire national, soit 28 millions d’hectares, contre près de 35 millions d’hectares en 1960. La principale cause de ce déclin est aujourd’hui l'artificialisation des sols (Figure 15), c’est-à-dire la transformation d’espaces naturels ou agricoles en constructions humaines : habitations, routes, jardins, industries, zones commerciales… Depuis 1981, on estime que deux millions d’hectares de terres ont été artificialisées, soit l’équivalent de deux fois la superficie du plus grand département métropolitain, la Gironde.

Figure 15 : Répartition des sols par type d’occupation en France métropolitaine en 2015 (Mha : millions d’hectares), et évolution annuelle nette.Chaque année, entre 2006 et 2015, ce sont en moyenne 66 000 hectares de sols qui ont été artificialisés. Cette expansion des sols artificialisés se fait pour deux tiers au détriment des terres agricoles, ce qui s’explique du fait que l’on construit davantage dans les plaines et en zone périurbaine, où l’agriculture domine. Elle rentre de ce fait en concurrence directe avec les activités agricoles liées aux circuits courts et à l’alimentation de proximité (comme le maraîchage).Source : Les Greniers d’Abondance, d’après Agreste (2017).

L’artificialisation se poursuit aujourd’hui à un rythme soutenu. L’équivalent de la surface moyenne d’un département français disparaît sous des constructions humaines tous les 10 à 15 ans. Si rien n’est fait pour freiner la tendance, la surface de sols artificialisés augmentera encore d’un tiers dans la prochaine décennie. Ce sont 280 000 hectares d'espaces naturels et agricoles supplémentaires qui seraient alors artificialisés d’ici 2030, soit un peu plus que la superficie du Luxembourg.

Vues aériennes du secteur nord-est d’Angoulême (Charente), en 1960 (à gauche) et en 2018 (à droite). Plusieurs centaines d’hectares de terres fertiles ont été converties en quartiers pavillonnaires, zones logistiques et surfaces commerciales. Crédits : IGN, Remonter le temps.

L’étalement urbain, premier responsable

Rapportée à la population, le taux d'artificialisation en France est largement supérieur à la moyenne européenne. Contrairement aux idées reçues, la disparition des surfaces agricoles n’est pas la conséquence inéluctable de la croissance démographique. Les sols artificialisés progressent trois fois plus vite que la population française (Figure 16). Les migrations intérieures et l’accès au logement ne sont pas non plus les principaux responsables de ce phénomène : d’après un rapport ministériel sur l’artificialisation des sols, 70 % de celle-ci se produit dans des zones sans tension sur le marché du logement. Selon ce même rapport, 40 % de l’artificialisation a lieu là où la vacance de logements augmente fortement. En France, c’est près d’un logement sur dix qui est vacant, sans prendre en compte les résidences secondaires !

Figure 16 : Évolutions comparées de la surface artificialisée et de la population française entre 2006 et 2015 (base 100 en 2006). L’artificialisation progresse trois fois plus vite que la démographie.Source : Commissariat Général au Développement Durable (2018b).

La croissance des sols artificialisés trouve avant tout ses origines dans l’étalement urbain : mitage des espaces périphériques, et multiplication de poches d’artificialisation rapide (zones commerciales, quartiers pavillonnaires). L’habitat en maison individuelle a représenté 51 % de la consommation supplémentaire d’espace entre 1992 et 2004, soit 2,8 fois plus que l’extension du réseau routier et 37 fois plus que l’habitat collectif.

Lotissement résidentiel dans la périphérie nord de Dijon. La construction d’habitats individuels représente plus de la moitié de l’artificialisation. Crédits : IGN, Géoportail.

Les collectivités françaises sont très loin de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) pourtant fixé comme objectif par la Commission Européenne en 2011 et inscrit dans le Plan Biodiversité de 2018. Déjà en 2010, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche fixait un objectif de réduction de moitié à l’horizon 2020 du rythme d’artificialisation des terres agricoles. Les diverses lois ayant tenté depuis une vingtaine d’années de limiter la périurbanisation à travers les documents d’urbanisme (lois SRU 2000, Grenelle II 2010, ALUR 2014) n’ont pas réussi à enrayer ce phénomène de manière significative.

Quels liens avec la résilience ?



Menaces associées : changement climatique, dégradation et artificialisation des sols

Les principales zones d’habitation se sont historiquement concentrées au milieu de terres agricoles fertiles, dont elles dépendaient pour assurer leur alimentation avant le développement massif du transport routier. L’étalement urbain affecte donc en premier lieu les terres les plus riches, et situées à proximité immédiate des lieux d’habitation : bassins céréaliers, vallées limoneuses, terres maraîchères…

L’expansion urbaine continue de ces dernières décennies n’incite pas les propriétaires à louer leurs terres situées en périphérie des villes à des agriculteurs, de peur de ne pouvoir les récupérer le jour où elles deviendraient constructibles. Ce phénomène de rétention foncière est défavorable à l’agriculture de proximité et est à l’origine de l’enfrichement de nombreuses terres agricoles de qualité.

À l’échelle nationale, la surface agricole disponible par habitant a diminué de moitié depuis 1930 en raison de l’augmentation démographique et du recul des terres cultivées. Elle est passée de 8 300 m² par habitant en 1930 à 4 400 m² en 2017. À titre de comparaison, la surface nécessaire pour satisfaire le régime alimentaire moyen actuel en France est d’environ 4 000 m² par habitant. Face aux incertitudes qui pèsent sur notre capacité à maintenir des rendements élevés, conserver un maximum de surfaces agricoles productives est évidemment un élément de résilience de premier plan.

Les formes d’aménagement associées à la consommation d’espace, en premier lieu desquels l’habitat pavillonnaire, induisent une forte dépendance à la voiture individuelle pour travailler et s’alimenter. L'étalement urbain augmente la distance moyenne à parcourir pour faire ses achats alimentaires et pour se rendre sur son lieu de travail, donc augmente la dépendance au pétrole.

Enfin, l’artificialisation des sols empêche l’infiltration des eaux de pluie, limitant ainsi le rechargement des nappes phréatique et augmentant à la fois les risques de sécheresses et d’inondations.

Objectifs



Responsables de l’aménagement du territoire, les collectivités locales ont un rôle direct dans la préservation des espaces naturels et agricoles. Elles ont pour mission d’articuler l’agriculture avec les autres enjeux du territoire : politiques liées à l'emploi (Plan de développement économique), à l’aménagement et aux mobilités (Plan local d’urbanisme, Plan de déplacements urbains), à l'énergie (Plan climat), ou encore à la protection de l'eau et de la biodiversité (Trame vertes et bleues, Schéma d'aménagement et de gestion de l'eau).

Il s'agit de renverser le regard porté sur les espaces naturels, agricoles et forestiers, habituellement perçus en négatif des zones urbanisées, comme des territoires vierges réservés à une urbanisation future potentielle. Le processus d’élaboration des documents d’urbanisme devrait ainsi démarrer par un diagnostic des ressources naturelles du territoire (espaces naturels et agricoles, biodiversité), puis par leur protection au regard de leur rôle fondamental dans un contexte de bouleversement écologique et climatique. Les enjeux liés aux logements ou aux activités économiques seraient alors pris en compte en limitant autant que possible leur consommation d’espace : analyse de densité, identification de dents creuses, reconversion des friches…

Comme l’explique France Stratégie, atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » dès 2030 est possible. Cela nécessite d’adopter une politique d’aménagement cohérente suivant la séquence (1) éviter (2) réduire (3) compenser. Il s’agit donc en premier lieu de questionner tout projet d’aménagement des espaces non urbanisés, pour leur préférer la densification et/ou la rénovation de l’existant et, le cas échéant, la reconversion de friches urbaines.

Les collectivités qui cherchent à contenir leur urbanisation prennent généralement pour référentiel de comparaison leurs documents de planification antérieurs, et tendent à présenter tout ralentissement du flux d’artificialisation comme un progrès. Cette comparaison est trompeuse, d’une part parce que leurs documents antérieurs sont souvent très permissifs, et d’autre part parce qu’elle entretient une confusion entre stock et flux : un nouvel espace artificialisé représente toujours une perte nette d’espaces naturels et agricoles, et donc une aggravation par rapport à la situation initiale. Comme nous l’avons vu, la situation actuelle est déjà largement dégradée (notamment au regard de nos voisins européens). Ainsi, une politique d’aménagement n’est réellement économe qu’à condition de ne pas consommer d’espaces naturels ou agricoles, voire de leur restituer des sols artificialisés – par exemple en renaturant des friches urbaines.

Leviers d’action



De nombreux outils réglementaires, fiscaux, de planification foncière ou d’intervention existent pour protéger efficacement les terres agricoles. Il est fondamental que la politique d’aménagement s’inscrive dans une logique « éviter-réduire-compenser », pour atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN).

LEVIER 1 : Observer le foncier agricole pour connaître et limiter son artificialisation


- Réaliser un inventaire du foncier mobilisable pour des activités agricoles, pouvant être intégré à une démarche de Projet Alimentaire Territorial (PAT) ou à un Projet de Territoire pour la Gestion de l'Eau. Les acteurs pouvant être mobilisés incluent les services d’urbanisme, la SAFER, les réseaux associatif (par exemple Terre de Liens et ses Veilleurs de Terre), et les acteurs de terrains (les techniciens rivières, les animateurs Natura 2000, les techniciens filières des organismes professionnels agricoles, les élu·e·s locaux·ales...).
- Mettre en place et financer un dispositif de veille foncière, pour un suivi continu de la situation foncière. Cela nécessite des moyens d’animation et des outils de suivi cartographique.

L’Observatoire National de l’Artificialisation développé dans le cadre du Plan Biodiversité fournit un ensemble très complet de bases de données sur l’artificialisation et l’utilisation des sols.

LEVIER 2 : « Éviter » : protéger les terres agricoles

Au delà de la limitation drastique de zones ouvertes à l’urbanisation dans les documents d’urbanisme, des outils réglementaires de protection du foncier dépassant le court-termisme des mandats électoraux doivent être mis en place en périphérie urbaine pour stopper la spéculation et la rétention foncière, et protéger durablement les terres agricoles :
- les zones agricoles protégées (ZAP) sont des servitudes d’utilité publique instaurées par arrêté préfectoral, à la demande des communes. Elles sont annexées au document d’urbanisme, auquel elles s’imposent. Elles sont destinées à la protection de zones agricoles dont la préservation présente un intérêt général en raison de la qualité des productions ou de la situation géographique.
- les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN) sont instaurés par le département avec l’accord des communes concernées et sur avis de la chambre d’agriculture, après enquête publique. Un apport des PAEN par rapport aux ZAP est d’intégrer un projet agricole de territoire, afin de soutenir l’activité et éventuellement de l’orienter vers une alimentation de proximité.

En 2010, les communes de Canohès et Pollestres (Pyrénées-Orientales) mobilisent un outil innovant : le périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN). Ce dispositif permet de protéger durablement les paysages naturels et agricoles sur le secteur de la Prade (en vert) et le plateau attenant (en rouge), menacés par l’étalement urbain et la déprise agricole.Crédits : Terre de Liens (2018).

LEVIER 3 : « Réduire » : concentrer l’aménagement au sein des espaces déjà artificialisés

Stopper les constructions pavillonnaire (première cause d’artificialisation) et l’extension des zones commerciales périphériques. Remplacer ces aménagements par :
- Le renouvellement et la réhabilitation du parc de logements vacants ;
- La démarche BIMBY (Build in my backyard) : un accompagnement des propriétaires fonciers à la division cadastrale pour densifier les fonds de jardin.

Établir des documents d’urbanisme économes en espace fixant :
- un plancher de densité pour les nouveaux espaces aménagés (coefficient minimum d’occupation des sols) ;
- un taux plancher de réinvestissement urbain pour la construction de logements et autres bâtis.

Mettre en oeuvre une politique commerciale et économique privilégiant :
- L’investissement dans les centralités (villes et bourgs) au lieu des zones commerciales et des parcs d’activité périphériques ;
- La reconversion de friches commerciales et industrielles pour y développer de nouvelles activités ;
- Le cas échéant, étudier la révision budgétaire et technique des opérations d’aménagement consommatrices d'espace pour interrompre des tranches de développement non réalisées.

Construire une fiscalité incitative :
- Pour favoriser la rénovation et l’utilisation du parc de logement existant, instaurer une taxe sur les logements vacants, et prendre contact avec les propriétaires via les opérateurs de l’Agence Nationale de l’Habitat pour proposer des aides à la rénovation, ou le dispositif « louer abordable » ;
- Les communes peuvent mettre en place un « versement pour sous-densité » dans les zones urbanisées (U) et à urbaniser (AU), avec fixation d’un seuil minimal de densité par le conseil municipal, pour inciter les aménageurs à économiser de l’espace et densifier l’aménagement ;
- Les terrains agricoles peuvent aussi être partiellement ou totalement exonérés de la part communale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

LEVIER 4 : « Compenser » pour atteindre zéro artificialisation nette

Il s'agit de renaturer une surface artificialisée existante équivalente aux nouvelles surfaces construites. Cela implique notamment la déconstruction, la dépollution, la désimperméabilisation, la construction de technosols permettant la végétalisation et la reconnexion fonctionnelle aux écosystèmes naturels environnants.

Toutefois, ces mesures compensatoires sont complexes et coûteuses, et certains effets de l’artificialisation s’avèrent en pratique irréversibles. Son coût oscillerait entre 1,9 et 2,3 millions d’euros par hectare. La compensation ne peut donc constituer le cœur d’une stratégie « zéro artificialisation nette ».

Bénéfices associés



Stopper l’artificialisation des terres participe à la sauvegarde de la biodiversité et des paysages. Cela réduit les risques d’inondations et les phénomènes d’îlots de chaleur urbains.

La fin de l’étalement urbain facilite la mise en place de réseaux de transport collectif, diminue les distances domicile/travail et la dépendance à la voiture individuelle. Cela redynamise les centres-villes et les bourgs, tout en limitant les besoins en infrastructures nouvelles et leur poids sur les finances locales.

Obstacles



Manque à gagner pour les propriétaires fonciers Un hectare de terres agricoles devenant constructible peut suffire à rendre leur propriétaire millionnaire. Il s’agit alors pour les communes de rendre ces terres durablement non constructibles afin de limiter la spéculation sur leur devenir, par exemple par des protections spécifiques (ZAP et PAEN). Cela nécessite une véritable volonté politique, mais également une concertation élargie pour favoriser l’acceptation de ces mesures. La question est sensible lorsqu’il s’agit d’agriculteurs : les niveaux de retraite très faibles peuvent inciter à saisir l’opportunité lorsque la valorisation du bien est importante. Agir sur les retraites des agriculteurs à l’échelle nationale faciliterait la préservation du foncier agricole.

Acceptabilité sociale L’acceptabilité sociale des politiques d’aménagement se trouve au cœur des préoccupations des collectivités. Même si les politiques de densification s’inscrivent dans une logique de préservation des biens communs (les espaces naturels, agricoles et forestiers), leurs implications sur le style de vie ne sont pas nécessairement acclamées par la majorité. Toutefois, la rénovation du cœur de ville ou la réhabilitation de friches devraient être perçues très positivement.

Fiscalité peu incitative

La fiscalité actuelle n’a pas été pensée en termes d’incitations à limiter la « consommation » des sols, mais en vue du financement des équipements ou d’autres politiques. Le taux de la part communale ou intercommunale de la taxe d’aménagement peut être augmenté (jusqu’à 20 %) dans les secteurs nécessitant la réalisation de travaux substantiels de voirie ou de réseaux. Si l’on raisonne en coût complet, l’étalement urbain conduit à une hausse significative des dépenses d’équipement et de services publics pour les collectivités, mais la fiscalité actuelle compense le caractère dissuasif de ces dépenses. La fiscalité devrait donc être revue de manière à encourager un zonage restrictif, la densification de l’existant et la réhabilitation des friches.

Planification communale

Aujourd’hui, la gouvernance de la planification est encore largement communale, bien que que cette compétence revienne en théorie aux intercommunalités. Cela peut être un obstacle lorsque les intérêts des communes et les ambitions des EPCI divergent.

Indicateurs




- Surface artificialisée par an et par habitant
- Surface artificialisée par ménage et emploi accueillis
- Taux de surfaces commerciales par habitant
- Évolution du nombre de logements et de locaux commerciaux vacants en centralités (villes et bourgs)

Pour aller plus loin






France Stratégie (2019) Objectif « Zéro artificialisation nette » – Quels leviers pour protéger les sols ? Un rapport complet pour une vision d’ensemble de la problématique.
Terre de Liens (2018) Agir sur le foncier agricole, un rôle essentiel pour les collectivités locales. Ce guide à destinations des collectivités est une référence sur les questions de gestion foncière et d’installation.
Ministère de la Cohésion des Territoires, Réseau Vivapolis (2019) Solutions innovantes pour la ville durable – La valeur du sol. Des exemples de réhabilitations de friches industrielles, parkings et terrains pollués sont présentés dans ces fiches pratiques du réseau Vivapolis.
CAUE du Nord (2016) 1001 façons de construire à la campagne. Des exemples d’opérations de renouvellement urbain en territoire rural.

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