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Voie de résilience n°5 : Adopter une gestion intégrée de la ressource en eau

L’eau est un facteur limitant crucial pour la production agricole. Dans un contexte de changement climatique rapide, les tensions d’accès à la ressource vont être exacerbées. Le choix des cultures et l’utilisation de pratiques agronomiques économes peuvent limiter la gravité de cette menace.

État des lieux



Une ressource sous tension



L’irrigation en France

En France, le climat océanique tempéré assure des précipitations bien réparties tout au long de l’année sur la majeure partie du territoire. Les grandes cultures, qui occupent environ la moitié de la surface agricole et fournissent la base de notre alimentation, sont pour la plupart pluviales : elles ne nécessitent pas d’irrigation. En 2010, 9 % des terres agricoles avaient accès à un dispositif d’irrigation, mais seule une partie de l’équipement est réellement utilisé chaque année : 5 % des surfaces agricoles ont été irriguées en 2016. Bien qu’assez peu répandu en terme de surfaces, l’usage agricole de l’eau est cependant très intensif, de sorte qu’il représente la moitié de notre consommation d’eau en France, et 80 % pendant les mois d'été. Son impact est d’autant plus important que ces prélèvements interviennent pour l’essentiel entre avril et septembre, c’est-à-dire au moment où le niveau des cours d’eau est le plus bas (période d’étiage), et qu’ils s’intensifient encore en période de sécheresse.

Les besoins d’irrigation varient beaucoup d’une région à une autre. Ceci s’explique principalement par les différences de climat et par les besoins très variables des cultures. En particulier, le développement important de la production de maïs pour l’alimentation animale dans la seconde moitié du XXe siècle a fortement accru la consommation estivale d’eau dans certaines régions. Pour seulement 10 % des surfaces cultivées, la maïsiculture représente la moitié des surfaces irriguées (Figure 20).

Figure 20 : Répartition des surfaces irriguées par types de culture en 2016. Les maïs grain, semence et fourrage concentrent la moitié des surfaces irriguées. La catégorie « Autres » recouvre en particulier l’arboriculture. Source : Agreste (2019).

Les maïs grain et fourrage représentent plus de la moitié des surfaces irriguées, avec un usage centré sur la période d’étiage des cours d’eau. Ces cultures, très majoritairement destinées à l’alimentation animale et à l’industrie, sont fortement consommatrices d’eau au regard de leur contribution à l’alimentation humaine. Crédits : Daniel Jolivet, CC BY, Wikimedia Commons.

La provenance de l’eau, elle aussi, varie beaucoup d’un territoire à un autre. La façade maritime, le bassin parisien et l’est de la France concentrent leur usage sur les nappes souterraines, tandis que l’irrigation repose essentiellement sur les eaux de surface (lacs, rivières, retenues collinaires) dans les départements du sud (Figure 21). C’est ce dernier usage qui pose le plus problème en période estivale.

Figure 21 : Prélèvements d’eau douce pour l’agriculture par ressource et par département en 2015. Sur la côte atlantique, les volumes prélevés sont importants, alors que les précipitations sont bien réparties. Source : Commissariat Général au Développement Durable (2019).

Par ailleurs, les besoins en eau varient grandement d’une année à l’autre. Par exemple, lors d’une année très sèche telle que 2003, la consommation d’eau à des fins d’irrigation a plus que doublé en Aquitaine. Les cultures non irriguées, de leur côté, pâtissent directement des sécheresses agricoles : en 2003, le rendement de la plupart des grandes cultures a chuté de 20 à 30 %. Ces baisses de rendement sont absorbées par un ajustement de notre balance commerciale, aujourd’hui excédentaire à l’échelle française. Certaines régions se retrouvent toutefois obligées d’importer des produits qu’elles cultivent en temps normal, tels que le fourrage en terres d’élevage. Si plusieurs pays européens se trouvaient simultanément confrontés à la même situation – un risque de plus en plus probable – des tensions importantes sont à craindre sur les marchés.

Mais les principales menaces de sécheresse ne vont prendre toute leur réalité que dans les décennies qui viennent, et ce quand bien même nous réussirions à réduire fortement dès aujourd’hui nos émissions de gaz à effet de serre. L’inertie du système climatique rend les mesures d’adaptation indispensables.

Vers des sécheresses inédites

Le rapport d’information des sénateurs Dantec et Roux sur le dérèglement climatique souligne que « en l'absence de mesures d'adaptation fortes de la politique de l'eau, tous les usages de l'eau (préservation des milieux aquatiques, consommation humaine, tourisme, agriculture) seraient fortement affectés et seraient mis en concurrence, avec un risque de sacrifier les intérêts de certains usagers ».

La plupart des régions souffriront en milieu de siècle d’un taux d’humidité des sols très dégradé. En particulier, au printemps et en été (principales saisons de croissance végétale), le taux moyen d’humidité des sols correspondra en 2050 au niveau « très sec » ou « extrêmement sec » d’aujourd’hui dans la majorité des régions (voir Changement Climatique). Des territoires très productifs comme la Beauce, la Champagne ou la Picardie connaîtront des épisodes de sécheresse exceptionnels et inédits. Il est difficile de prévoir quelle part de la production actuelle pourra être maintenue sans transformation profonde des systèmes de culture.

Publié par le BRGM, le rapport Explore 70 est très alarmiste au sujet du niveau des cours d'eau et du taux de charge des nappes phréatiques attendus en milieu de siècle et prédit :
- une baisse de 10 à 25 % de la recharge des nappes phréatiques à l’échelle nationale, et jusqu’à 30 à 50 % dans le Sud-Ouest. Ceci serait notamment dû à une intensification de l'évapotranspiration, au détriment de l'alimentation des nappes ;
- une baisse de 10 à 40 % du débit moyen annuel des cours d'eau et des étiages plus sévères, plus longs et plus précoces, avec des débits estivaux réduits de 30 à 60 %.

Quels liens avec la résilience ?



Menaces associées : changement climatique

L’eau est l’un des principaux facteurs limitants des cultures. Face à des sécheresses de plus en plus fréquentes et sévères, les rendements des grandes cultures et la disponibilité en fourrages vont peu à peu se dégrader. De graves crises agricoles liées à des épisodes de sécheresse extrêmes sont également à prévoir.

Faute d'une politique préventive suffisamment ambitieuse, la consommation agricole entrera de plus en plus fréquemment en compétition avec les usages domestiques prioritaires, dont l'eau de boisson. Le traitement palliatif de ces crises obligera de se tourner régulièrement vers le transport routier pour assurer ce besoin vital.

Fin août 2019, 94 des 96 départements de France métropolitaine sont touchés par des arrêtés de restriction d'usage de l'eau. Plusieurs communes, comme Bort-les-Orgues (Corrèze) voient leurs châteaux d'eau ravitaillés par des camions-citernes. Leur capacité limitée au regard de la consommation d'eau domestique oblige à des rotations incessantes, et induit une dépendance ponctuelle totale au transport routier pour l'eau de boisson.Crédits : © Maxppp - Fabrice Anterion.

Objectifs



Le rapport prospectif Garonne 2050 conclut que « face à l’ampleur des problèmes futurs, seules des ruptures fortes des modes de production et de consommation permettant de réduire drastiquement la demande, pourraient à répondre à l’enjeu ». Réduire les besoins agricoles en eau est en effet la première des priorités. Cela passe d’abord par l’augmentation de la part des cultures résistantes à la sécheresse dans les assolements, et par une forte diminution des grandes cultures dépendantes de l’irrigation, telles que le maïs. L’utilisation et la sélection de variétés adaptées au manque d’eau est également à encourager (voir voie de résilience n°4).

L’évolution des pratiques agricoles peut aussi réduire les besoins d’irrigation en favorisant l’infiltration et la rétention des eaux dans les sols. C’est l’un des objectifs de l’agroécologie et des pratiques associées : couverture permanente du sol, obstacles au ruissellement (haies, bandes enherbées, talus), augmentation de la teneur des sols en matière organique (voir voie de résilience n°7). Pour les besoins résiduels des cultures maraîchères et fruitières, les pratiques d’irrigation économes (goutte à goutte) sont à privilégier.

Plus généralement, l’ensemble du bassin versant doit faire l’objet d’une politique de gestion commune de la ressource en eau. Les usages non agricoles doivent eux aussi être plus sobres et plus efficaces. Les systèmes de recharge des nappes souterraines à partir des eaux de surface peuvent être optimisés afin de stocker efficacement – en limitant les pertes par évaporation – une partie des pluies et des eaux usées après traitement. Cela passe notamment par le développement et la protection des zones humides, des haies, et des prairies permanentes, qui favorisent l’infiltration d’eau et réduisent les risques d’inondations.

Sans remettre en cause l’irrigation en soi, l'usage actuel de la ressource en eau, tout comme certaines mesures d’adaptation envisagées, apparaissent inappropriés dans un contexte d’assèchement progressif.

En particulier, l'augmentation des capacités de stockage de l’eau en surface, grâce à la construction de « bassines » ou de retenues collinaires, est la plupart du temps contre-productive. Un « cercle vicieux de la demande » se met en place : (1) les nouvelles capacités de stockage favorisent l’augmentation des surfaces irriguées ; (2) le territoire est d'autant plus vulnérable en cas de déficit : une sécheresse prolongée provoque des dégâts économiques accrus ; (3) la pression pour construire de nouvelles capacités de stockage augmente. Ces ouvrages créent l'illusion d'une ressource stable, et retardent les transformations nécessaires pour réduire la demande, qui sont seules à même de répondre à la dégradation accélérée du régime hydrologique. Étant donnée l'augmentation en fréquence et en durée des périodes de sécheresse, cette course est d'avance perdue.

Leviers d’action



LEVIER 1 : Faire un état des lieux de la ressource en eau et de son évolution puis fixer des objectifs de réduction de la dépendance du territoire à l’irrigation

Analyser, avec les agences de l’eau, les tensions déjà existantes sur la ressource et les conséquences attendues du changement climatique. L’étude ne doit pas se limiter au territoire proche mais envisager également les impacts des usagers plus lointains.

En partenariat avec les syndicats d’irrigation, dresser un diagnostic des exploitations les plus dépendantes à l’irrigation, suivre l’évolution de l’usage par secteur, et fixer des objectifs ambitieux de réduction de l’usage de l’eau échelonnés dans le temps. En fonction des contextes locaux, il est possible de s’appuyer sur les Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SAGE) et de leur volet prescriptif ou de leurs recommandations.

LEVIER 2 : Accompagner financièrement et techniquement l’évolution des exploitations vers des cultures moins dépendantes de l’irrigation

Concevoir et mettre en oeuvre, avec les partenaires locaux, organismes professionnels agricoles, syndicats d’eau, d’irrigation et agences de l’eau, une politique de conseil et de soutien économique aux choix d'assolement économes en eau.

Favoriser dès l’installation des modèles d’exploitations économes en eau. En particulier, faire diminuer la place du maïs dans l'assolement, au profit d’autres cultures directement valorisables en alimentation humaine et plus résistantes aux conditions estivales sèches (blé, tournesol, millet, sorgho…).

La municipalité de Lons-le-Saunier (Jura) exploite en régie directe son réseau d’eau potable, alimenté à 70 % par un pompage dans la plaine alluviale de la Seille (photographie). Dans les années 1980, la municipalité se trouve confrontée à des teneurs en nitrates et pesticides élevées. Elle décide d’agir en contractualisant avec les agriculteurs pour qu’ils modifient leurs pratiques : abandon de la culture de maïs, maintien des prairies, etc. Dans les années 2000, la ville développe le soutien à la conversion en agriculture biologique.Crédits : PRA, CC-BY, Wikimedia Commons

LEVIER 3 : Former les agriculteurs à la gestion économe de la ressource

Mettre en place un cycle de formation avec les organismes professionnels agricoles. Cibler les exploitations les plus consommatrices pour former leurs exploitants aux pratiques permettant d’améliorer la rétention d’eau dans les sols, et aux techniques d’irrigation économes.

Semis direct sous couvert. L’intégration de couverts végétaux dans les rotations fait partie des pratiques réduisant les besoins d’irrigation. Le maintien permanent d’une couverture végétale favorise l’infiltration des eaux pluviales, la matière organique apportée au sol par la culture de couverture augmente sa capacité de rétention d’eau (réserve utile), et la plus grande activité biologique des sols permet une meilleure alimentation des plantes en eau grâce aux symbioses avec certains champignons. Le semis direct sous couvert est encore peu répandu en France, alors qu'il est largement développé dans les pays tropicaux et de plus en plus adopté aux États-Unis et au Brésil.Crédits : © Jason Johnson, USDA’s Natural Resources Conservation Service

LEVIER 4 : Réutiliser pour l’irrigation les eaux usées issues des stations d’épuration

Après traitement, les eaux des stations d’épuration sont rejetées dans les milieux aquatiques. Cette ressource peut à la place être directement utilisée pour l’irrigation de terres situées à proximité. Cette pratique permet également de fertiliser les cultures car des nutriments sont encore présents dans les eaux traitées (voir voie de résilience n°11).

Sur l’île de Noirmoutier (Vendée), environ un tiers des eaux usées traitées par les deux stations d’épuration de l’île sont utilisées pour l’irrigation agricole au lieu d’être rejetées à la mer. Ce recyclage de la ressource apporte eau et nutriments à 380 hectares de pommes de terre.Crédits : Patrice Bon, CC BY-SA, Wikimedia Commons.

Bénéfices associés



La gestion intégrée de la ressource en eau s’accompagne d’une amélioration nette de sa qualité. L’agriculture peut être une source importante de pollution de la ressource aquatique, ou au contraire participer à sa préservation. À l’échelle nationale, la pollution de l’eau par les pesticides et les nitrates coûte a minima 1,7 milliard d’euros par an pour distribuer une eau potable, et s’il fallait éliminer les polluants agricoles présents dans l’eau, cela coûterait au moins 54 milliards d’euros par an. Le coût du curatif atteindrait environ une centaine de fois celui du préventif.

L’étude prospective Garonne 2050 souligne qu’en l’absence de mesures, la baisse du rythme de renouvellement des eaux de surface aura pour conséquence une moindre dilution des polluants et une augmentation de la température moyenne au sol. Outre son impact massif sur la biodiversité, la concentration des pollutions et des pathogènes pèserait alors fortement sur la production d’eau potable et occasionnerait un surcoût important pour son épuration. Diminuer drastiquement les prélèvements d’eau de surface à des fins agricoles est donc très utile pour prévenir l’apparition de ces problèmes de pollution et de réchauffement des sols.

Obstacles



Les obstacles à la limitation des besoins en eau peuvent être économiques (cultures moins rémunératrices pour les agriculteurs), psychologiques (opposition, freins au changement), techniques (pratiques et matériel à acquérir) ou politiques (conflits d’intérêts entre acteurs). La concertation des usagers et des organismes de gestion est essentielle, de même que l’accompagnement technique et financier des agriculteurs.

Indicateurs


- Volume d’eau prélevé à des fins agricoles
- SAU irriguée par type de cultures

Pour aller plus loin






Plate-forme OSAÉ (Osez l’agroécologie) de l’association Solagro. OSAÉ est une plate-forme d'échanges extrêmement riche réunissant des témoignages d’agriculteurs et des fiches pratiques pédagogiques pour faire évoluer les systèmes agricoles, en faveur notamment d'une sobriété d'usage de la ressource en eau. L'information, l'expérimentation et les échanges entre pairs sont des leviers efficaces pouvant être coordonnés par les collectivités.
Agence de l’eau Adour-Garonne (2018) Étude pour le renforcement des actions d’économies d’eau en irrigation dans le bassin Adour-Garonne.Une étude très complète qui présente une multitude de leviers agronomiques, techniques et organisationnels, pouvant être activés par les agriculteurs, les agences de l’eau et les collectivités en vue de diminuer les besoins et la consommation d’eau pour l’irrigation.
Agence de l’eau Adour-Garonne (2014) Garonne 2050. Étude prospective sur les besoins et les ressources en eau à l'échelle du bassin Adour-Garonne. Les études prospectives Charente 2050, Dordogne 2050 ou Garonne 2050 développent des scénarios d'évolution de l'usage de la ressource pour anticiper les impacts du changement climatique sur l’hydrologie des rivières et aider à la décision les pouvoirs publics

Tags : eau, irrigation
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